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La série « Tour d’horizon en trois questions » met en valeur la recherche sous toutes ses formes et porte un regard éclairé sur l’actualité.
La professeure agrégée Géraldine Delbès, experte en toxicologie de la reproduction, se penche depuis plusieurs années sur l’impact de substances environnementales et médicales sur le développement des cellules reproductrices mâles.
L’infertilité touche de plus en plus de personnes dans le monde. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 1 personne sur 6 fera face à ce problème au cours de sa vie. Or, si les problèmes de reproduction touchent autant les femmes que les hommes, l’infertilité masculine semble moins reconnue comme un enjeu de société.
La professeure agrégée Géraldine Delbès, experte en toxicologie de la reproduction, se penche depuis plusieurs années sur l’impact de substances environnementales et médicales sur le développement des cellules reproductrices mâles.
Dans son laboratoire du Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie de l’INRS, elle s’intéresse aux altérations précoces dans la production d’un type particulier de cellules : les cellules germinales, qui sont à l’origine des futurs spermatozoïdes.
En un mot, la professeure Delbès observe ce qu’il se passe bien avant la conception d’un enfant, à l’échelle de toute la vie des parents. À l’occasion de la Semaine canadienne de sensibilisation à la fertilité (Canadian Fertility Awareness Week) qui se tient du 21 au 27 avril 2024, Géraldine Delbès, répond à nos questions.
Shanna Swan, célèbre épidémiologiste américaine et autrice du livre « Count down », a tiré la sonnette d’alarme avec ses collaborateurs internationaux en publiant en *2017, puis en **2023, des analyses statistiques inédites faisant état du déclin mondial du compte spermatique depuis les 50 dernières années.
Ces publications* très médiatisées ont contribué à la conscientisation du public sur cette problématique qui avait déjà fait l’objet de recherches épidémiologiques et expérimentales depuis les années 1990. Fin 2023, l’OMS publiait un rapport qui a remis sur la table ce sujet d’intérêt public. Le poids de l’évidence scientifique était là, marquant ainsi les esprits.
Une des hypothèses qui explique ce déclin de la fertilité est l’augmentation du nombre de produits chimiques environnementaux, qui pourraient avoir des effets toxiques sur la santé humaine et sur la reproduction. C’est le cas de plastifiants ou de bisphénols que l’on retrouve partout dans notre quotidien. Là encore, la prise de conscience de ces expositions et de leurs effets sur la biodiversité et sur la santé humaine contribue à l’intérêt commun – et à l’inquiétude générale.
De plus en plus de personnes sont exposées à l’infertilité, que ce soit personnellement ou dans leur entourage. Cela contribue sûrement aussi à sensibiliser la population. Je pense aussi que les changements sociétaux valorisant l’égalité hommes-femmes permettent aujourd’hui de parler sans tabou de l’infertilité masculine.
La reproduction est une fonction du corps qui se met en place dès la vie fœtale avec le développement des organes génitaux. Durant cette phase de la vie, le testicule en plein développement est très sensible à l’environnement hormonal. Il peut donc être perturbé par des déséquilibres hormonaux causés par la présence de composés chimiques mimant les hormones naturelles. Ces composés peuvent venir de médicaments ou de différentes sources dans notre quotidien, comme les plastiques, les cosmétiques, l’électronique, ou encore les retardateurs de flamme bromés sur les tissus.
Depuis les années 1990, les études expérimentales – dont certaines auxquelles j’ai participé ou que j’ai menées depuis mon doctorat – ont permis de démontrer que ces expositions précoces peuvent affecter la programmation de la lignée germinale, et donc avoir des conséquences invisibles jusqu’au projet parental. Ces conséquences peuvent se refléter après la puberté, dans la production de spermatozoïdes, aussi bien sur leur quantité que sur leur qualité.
Les spermatozoïdes sont des cellules fascinantes : d’une part grâce à leur forme et à leur capacité à se déplacer, et d’autre part grâce à leur capacité à transmettre le patrimoine parental à la descendance ! La qualité spermatique peut être mesurée par la mobilité et la morphologie du spermatozoïde, mais aussi par l’ADN contenu dans sa tête.
Des avancées fondamentales récentes ont permis de mettre en évidence que l’ADN et son « emballage » dans la tête des spermatozoïdes contribuent au développement de la descendance dès la création d’un embryon. Ces démonstrations mettent en avant l’importance de mieux comprendre comment ces éléments sont mis en place et comment l’environnement peut les influencer, car cela contribue au succès de la grossesse et à la santé des futurs enfants.
Ces questions font l’objet de mes recherches au laboratoire où nous utilisons principalement des modèles expérimentaux. En parallèle, des études épidémiologiques, à l’échelle d’une vie entière, commencent à alimenter ces évidences.
Le rapport que nous avons publié récemment met en évidence le besoin de revoir les façons de faire et de penser autour du traitement de l’infertilité humaine. La médecine de la reproduction est basée sur la spécialité d’obstétrique et de gynécologie, donc centrée sur la femme. Il y a peu de spécialistes de la spermatogenèse dans les centres de fertilité, et la plupart des traitements de fertilité sont destinés aux femmes. L’évaluation de la fertilité masculine se fait de la même façon dans les cliniques de fertilité depuis leur création dans les années 1980 ! Et les solutions retombent en grande partie sur la femme qui devra faire des traitements hormonaux nécessaires aux techniques de procréation assistée.
La réalité est que nous manquons d’outils diagnostiques pour les hommes, qu’ils soient génétiques ou cliniques. Il faut reconnaître ce besoin et mieux financer la recherche essentielle au développement et à la mise en place de ces outils. La recherche des causes biologiques et des origines des problèmes de reproduction est indispensable mais encore peu reconnue et grandement sous-financée. Pourtant, des évidences récentes démontrent que la qualité spermatique pourrait être un indicateur significatif de la santé globale d’un homme.
Une partie de la solution réside dans la conscientisation de la population. Il faut comprendre que l’infertilité masculine peut aussi être une cause de l’infertilité d’un couple hétérosexuel et qu’elle peut trouver son origine très tôt dans la vie du partenaire. Toutefois, si l’environnement peut affecter négativement la production de spermatozoïdes, l’adoption de saines habitudes de vie peut aussi contribuer à renverser ces effets néfastes. Il existe donc des pistes de solution et beaucoup d’avantages à développer ces aspects de la médecine de la reproduction.
La professeure Delbès est récipiendaire du prix 2016 de transfert des connaissances et du prix 2021 de reconnaissance en Équité Diversité et Inclusion du Réseau Québécois en Reproduction. Elle est membre du Centre intersectoriel d’analyse des perturbateurs endocriniens (CIAPE) et du Pasteur Network. Elle est également la présidente sortante de la Société de toxicologie du Canada.
* Levine H, Jørgensen N, Martino-Andrade A, Mendiola J, Weksler-Derri D, Mindlis I, Pinotti R, Swan SH. Temporal trends in sperm count: a systematic review and meta-regression analysis. Hum Reprod Update. 2017 Nov 1;23(6):646-659. doi: 10.1093/humupd/dmx022. PMID: 28981654; PMCID: PMC6455044.
** Levine H, Jørgensen N, Martino-Andrade A, Mendiola J, Weksler-Derri D, Jolles M, Pinotti R, Swan SH. Temporal trends in sperm count: a systematic review and meta-regression analysis of samples collected globally in the 20th and 21st centuries. Hum Reprod Update. 2023 Mar 1;29(2):157-176. doi: 10.1093/humupd/dmac035. PMID: 36377604.
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