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« Manger de la misère » pour créer la science de demain?

Publié par Luc-Alain Giraldeau et les représentantes et représentants des associations étudiantes

8 juin 2023

( Mise à jour : 8 juin 2023 )

Vous avez sans doute entendu parler, dans les dernières semaines, des étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs qui dénoncent les conditions précaires qui leur sont imposées afin de poursuivre leur formation scientifique. Aujourd’hui, le directeur général de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et les représentantes et représentants des associations étudiantes du seul établissement universitaire au Canada dédié exclusivement à la formation scientifique aux cycles supérieurs souhaitent unir leur voix à celle de la relève scientifique de partout au Canada pour dénoncer les appuis financiers injustes offerts à la population étudiante.

Nous vivons dans une société du savoir. Faut-il le répéter? Cela veut dire que le bien-être et la qualité de vie des citoyennes et citoyens du Québec dépendent de la recherche et de l’innovation que nous sommes en mesure d’appuyer. Toutes les sociétés du savoir dépendent donc de manière explicite de leur capacité à former à répétition des vagues de jeunes scientifiques aptes à innover et à faire avancer les connaissances et la qualité de vie. Comment pourra-t-on arriver à assurer la prospérité de la population canadienne si l’on fait l’économie d’une relève scientifique de haut calibre et compétitive en offrant aux aspirantes et aspirants scientifiques des conditions de vie sous le seuil de la pauvreté?

Le directeur général et les représentantes et représentants des associations étudiantes de l’INRS souhaitent unir leur voix à celle de la relève scientifique de partout au Canada pour dénoncer les appuis financiers injustes offerts à la population étudiante.

À l’INRS, 10 % des étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs profitent de bourses d’excellence d’agences subventionnaires québécoises et canadiennes. Au fédéral, ces bourses sont de 17 500 $ à la maîtrise et de 21 000 $ au doctorat. Ces sommes sont les mêmes depuis plus de 20 ans, malgré l’inflation et la hausse fulgurante des loyers et du prix des denrées alimentaires. On peut se réjouir que le Québec ait augmenté la valeur de ses bourses, il y a quelques jours seulement, les faisant passer à 20 000 $ pour la maîtrise et à 25 000 $ pour le doctorat. Cependant, ces sommes sont toujours sous le seuil de la pauvreté, qui se situe entre 25 128 $ et 34 814 $ au Québec. Offrir tout au plus 25 000 $ par année, c’est condamner à l’insécurité celles et ceux qui aspirent à devenir nos leaders scientifiques et leur faire ressentir toute l’anxiété qui vient avec un revenu sous le seuil de la pauvreté. La situation est déjà mauvaise pour ces 10 % qui bénéficient de bourses, mais quels appuis financiers sont réservés aux 90 % restants, soit l’essentiel des étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs? Pour ces personnes, on puise à même les fonds de fonctionnement de l’université et les subventions de recherche des professeures et professeurs pour leur offrir un appui financier souvent en deçà de celui des boursières et boursiers d’excellence. Leur situation est évidemment plus précaire. (Notez que nous choisissons ici de ne pas décrire les conditions financières des personnes venues de l’étranger – plus difficiles encore – parce que leur situation mériterait un texte à part entière.)

Vous vous demandez sûrement pourquoi nous devrions soutenir financièrement la population étudiante aux cycles supérieurs. En fait, si travailler à temps partiel pour subvenir à ses besoins est possible au baccalauréat, la situation est toute autre aux cycles supérieurs. Le travail à temps partiel n’est souvent pas possible ou nuit considérablement au progrès de la formation. Il peut même mener au surmenage. C’est le cas parce que la formation aux cycles supérieurs est intensive et particulièrement chronophage, exigeant souvent des membres étudiants quelque 50 heures de formation par semaine. Ces personnes se forment, certes, mais ce faisant elles produisent une part importante de toute la recherche dans les laboratoires et les groupes de recherche universitaires. Elles publient des articles scientifiques, participent à des colloques internationaux… Bref, ce sont les artisanes et artisans de la recherche québécoise. Leur travail est justement de faire de la recherche : c’est de cette façon que cette population étudiante se forme.

Comment une étudiante en écologie aquatique, par exemple, pourrait-elle jumeler ses mois passés au Nunavut pour la collecte de ses échantillons, sept jours par semaine, les longues journées consacrées à l’analyse de ces données en laboratoire et l’écriture d’un article scientifique avec un travail à temps partiel dans la restauration?

Comment l’étudiant au doctorat en biologie moléculaire pourrait-il passer une dizaine d’heures par jour au laboratoire, souvent sept jours par semaine, à réaliser des manipulations complexes avec des équipements à la fine pointe de la technologie, puis lire les publications scientifiques de son domaine le soir afin de préparer une communication scientifique à un colloque international et collaborer avec ses collègues à préparer des articles scientifiques tout en travaillant dans un centre d’appel?

Ce serait irréaliste. Les études aux cycles supérieurs représentent un travail qui requière un engagement complet de la part des étudiantes et étudiants. Il est manifestement incompatible avec des emplois temporaires à temps partiel. Il faut donc impérativement fournir à notre population étudiante un réel appui financier à la mesure de sa contribution à l’avancement de notre connaissance et à l’innovation.

En ce moment, on demande à ces apprenti(e)s scientifiques le sacrifice de vivre sous le seuil de la pauvreté pendant trois années pour la maîtrise, auxquelles s’ajoutent souvent de quatre à cinq ans pour un doctorat. Est-ce un choix que vous feriez, sachant que le marché de l’emploi cherche constamment de la main-d’œuvre disponible rapidement et offre des conditions beaucoup plus avantageuses? Non, évidemment. À leur place, vous ne feriez pas ce choix. C’est peut-être ce qui explique la difficulté à recruter des étudiantes et étudiants du Québec aux cycles supérieurs en science dans l’ensemble des universités au Québec.

Ces conditions de vie misérables sont intolérables, particulièrement lorsqu’on considère qu’en Europe ou aux États-Unis, l’appui financier est de loin supérieur à ce qui est offert au Canada. Plusieurs pourront sans doute préférer tout simplement quitter l’université après un premier diplôme pour rejoindre un marché du travail plus lucratif. Le Québec se prive de la relève scientifique qu’il mérite pour son développement social, économique et culturel.

Les associations étudiantes et la direction générale de l’INRS s’associent pour dénoncer cette situation à courte vue qui met en péril l’avenir scientifique du Québec, le rendant de plus en plus dépendant d’innovations étrangères souvent mal adaptées à sa société.

Nous vous invitons à vous joindre à nous pour demander au gouvernement fédéral d’accroître le budget de ses agences subventionnaires afin qu’elles puissent garantir un appui financier adéquat et juste aux étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs du Canada.

Il est temps de faire évoluer les conditions dans lesquelles on plonge les personnes qui contribuent à l’avancement de nos connaissances et aspirent à devenir la relève scientifique du Canada!

Luc-Alain Giraldeau Ph.D., directeur général de l’INRS

L’Association étudiante du Centre Urbanisation Culture Société (AEUCS)

L’Association étudiante en santé biotechnologie de l’INRS (AESBI)

Le Comité des étudiants de l’INRS en sciences des matériaux et de l’énergie (CEISME)

La Fédération Étudiante de l’INRS (FE INRS)