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La portée de la recherche : Vers une société plus juste

9 août 2021 | Collaboration spéciale : Brigitte Trudel

Mise à jour : 17 mai 2024

 « La portée de la recherche : un partenariat avec… » nous fait découvrir des projets réalisés par les professeurs de l’INRS en partenariat avec des organisations œuvrant au-delà des milieux scientifiques habituels et dont les résultats ont un impact sur la société.

Le réseau DIALOG et l’alliance ODENA contribuent à rassembler les connaissances essentielles pour une meilleure compréhension des réalités autochtones au Québec

L’équipe de la professeure Carole Lévesque et des représentantes et représentants des Premiers Peuples travaillent main dans la main et créent ensemble des connaissances essentielles à une meilleure compréhension des réalités autochtones au Québec.

L’actualité en témoigne, une profonde reconnaissance des enjeux autochtones est primordiale pour assurer des relations d’avenir empreintes de respect et d’égalité entre les Premiers Peuples et les autres citoyennes et citoyens du Québec.


DIALOG, le partage et la mise en commun des savoirs

La professeure Carole Lévesque travaille avec les Premiers Peuples depuis plus de 45 ans. Au fil de son parcours professionnel et scientifique, cette anthropologue de formation a développé une vision bien particulière et novatrice de la recherche. « La présence sur le terrain est incontournable pour moi », indique-t-elle.

Mais attention. Bien loin de l’unique observation, cette présence est avant tout une affaire de rencontre. Elle se traduit par l’écoute, les échanges, l’accompagnement mutuel et une mise en commun des savoirs, tout cela à la faveur de liens de confiance extrêmement étroits.

« Plus que des partenaires, les membres des Premiers Peuples avec qui nous travaillons sont des collègues. Tout le monde apporte sa contribution à l’objectif qui est de mieux comprendre les diverses réalités et enjeux. C’est ce que j’appelle la coconstruction des connaissances. »

Carole Lévesque, professeure à l’INRS et responsable du réseau DIALOG
Professeure Carole Lévesque. Photo : Josée Lecompte

Cette idée de réunir le milieu universitaire et le milieu autochtone sur un pied d’égalité a mené Carole Lévesque à instaurer, en 2001, le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones DIALOG. D’une part, il y a la démarche scientifique : colliger de l’information, lui donner un sens et replacer le tout dans des questionnements universitaires. De l’autre, il y a des savoirs partagés, des expériences, des visions du monde autres. « À la jonction des deux, DIALOG se veut un espace où nous partageons nos moyens et nos connaissances, afin d’arriver à faire quelque chose de plus », précise sa fondatrice. 

Bâti selon une vision résolument inclusive, et éthique, DIALOG mobilise l’expertise de chercheuses et chercheurs dans une variété domaines, de collaboratrices et collaborateurs autochtones et d’étudiantes et d’étudiants autour de multiples projets. « Nous portons les dossiers ensemble. On s’accompagne mutuellement. En ce sens, nous sommes des cochercheuses et cocherchercheurs. C’est un travail de collégialité », explique-t-elle.


Des liens étroits et durables

Le Regroupement des Centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ) fait partie des partenaires de longue date de la professeure Lévesque et de son équipe. La relation avec cet organisme, qui réunit 11 Centres d’amitié à travers la province, dure depuis plus de 15 ans. Elle est née d’une demande de la directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or (CAAVD), Edith Cloutier, qui présidait alors le RCAAQ.

« À l’époque, la réalité des Autochtones en milieu urbain suscitait très peu d’intérêt de la part du monde académique et de la recherche au Québec. Ce que je déplorais. C’est autour de cette question que j’ai rencontré Carole. Elle était l’une des rares à s’être un peu intéressée au sujet », raconte Edith Cloutier.

Dès le départ, l’approche de la professeure Lévesque a interpellé la directrice. « Avec des éléments clés comme l’inclusion et la multidisciplinarité. Également, la reconnaissance que les savoirs et les connaissances autochtones peuvent faire avancer la science », relate-t-elle.

Tout de suite, une connexion s’établit. Carole Lévesque invite Edith Cloutier à participer au comité de direction de DIALOG.

« Moi, à travers le prisme de l’action communautaire en milieu autochtone dans une ville, et Carole, par le prisme universitaire, nous avons identifié ensemble les champs d’études qui répondraient tant aux intérêts des chercheuses et chercheurs qu’aux besoins pratiques des Centres d’amitié autochtones. » décrit

Edith Cloutier, directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or

En 2009, le partenariat entre les deux femmes se cristallise avec la création d’ODENA. Cette alliance de recherche qu’elles codirigent est consacrée à l’étude des dynamiques urbaines des Premiers Peuples au Québec.


Des outils pour prendre la parole

À ce jour, nombreux sont les fruits issus de la rencontre initiée par Edith Cloutier entre l’équipe de Carole Lévesque et le RCAAQ.

Entre autres, de 2011 à 2016, l’Alliance ODENA a mené, auprès de 1000 personnes autochtones de différentes villes québécoises, la plus vaste enquête sur leurs réalités jamais tenue dans la province. Sous forme de questionnaires, de témoignages oraux, d’archives et plus encore, cette collecte de données a permis de recueillir et de colliger des informations inédites. Des thèmes comme l’itinérance, l’éducation, l’économie, la violence, la réalité des femmes, pour ne nommer que ceux-là, ont été approfondis et continuent de l’être, avec doigté et rigueur.

« Depuis plus de 10 ans, nous avons construit des corpus d’information pour les populations autochtones des milieux urbains de partout au Québec, indique la professeure Lévesque. Nos résultats ont nourri leurs propres mémoires déposés en commission parlementaire. Pour accroitre leur capacité d’agir, il leur fallait des bases solides, rigoureuses sous forme de statistiques, d’analyses, de cartographies. »

« Nous avons réalisé que de s’appuyer sur une démarche scientifique était essentiel pour être entendus et pour mettre de l’avant nos réalités peu connues dans des contextes très politiques de réconciliation, de négociation, de revendications. »

Edith Cloutier, qui a reçu un doctorat honoris causa de l’INRS
Edith Cloutier, directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or
Edith Cloutier, directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Photo : Paul Brindamour

Ce cadre de travail nous a donné la pulsion d’activer des leviers pour avancer. Par exemple, jamais je n’aurais cru qu’il irait jusqu’à nourrir les travaux, en 2016, de la Commission sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec(CERP).

Plus encore, aux côtés des publications officielles se décline une diversité de produits accessibles à un plus large public. Feuillets, brochures, livres et vidéos servent d’outils de mobilisation et de développement dans les Centres d’amitié autochtones de partout au Québec. Sans oublier les nombreuses activités, présentations et occasions de partage tenues au cœur des villes et des communautés territoriales dont le but est de démocratiser l’accès aux connaissances ainsi cocréées.

En outre, ce travail conjoint a mené à la conception d’un cours universitaire en autochtonie urbaine, une première au Québec. Ce cours a été offert à l’INRS en 2017 et de nouveau en 2021. L’INRS et le RCAAQ en sont les coresponsables.


Minowé : une clinique qui inspire

Autre retombée très concrète de la rencontre entre Carole Lévesque et Edith Cloutier, la Clinique Minowé, qui a vu le jour en 2011. Première clinique de santé et de mieux-être destinée à la population autochtone de la ville de Val-d’Or, elle est résolument novatrice en ce qu’elle intègre les composantes d’une clinique de première ligne à des pratiques inspirées de la guérison traditionnelle autochtone.

« Le CAAVD portait ce projet depuis le début des années 2000, précise Edith Cloutier. Il visait à mettre en place une offre de services pour améliorer la santé des Autochtones dans une approche sécurisante sur le plan culturel. Le défi pour nous était de convaincre l’État d’appuyer cet objectif. »

L’équipe de Carole Lévesque s’est jointe à l’initiative en 2009.

« Notre accompagnement scientifique a consolidé les liens et les savoirs propres à l’approche proposée par la clinique, relate la professeure. Nos données et nos analyses ont permis d’asseoir la révision des politiques et des programmes publics nécessaires à sa réalisation. »

Carole Lévesque, membre de l’Unité mixte de recherche INRS-UQAT en études autochtones

« Elles ont aussi fait en sorte qu’on puisse démontrer concrètement les effets positifs de la clinique, poursuit Edith Cloutier. Par exemple, depuis la mise en place de sa composante jeunesse, le taux de signalement des enfants autochtones, en milieu urbain, à la direction de la protection de la jeunesse a baissé de 40 %. Cette information a d’ailleurs été évoquée devant la Commission Laurent sur le droit des enfants. »

Pour documenter l’approche Minowé, l’Alliance ODENA a aussi dressé un bilan de toutes les cliniques de santé autochtones qui existent dans le monde. « Cette ouverture sur ce qui se fait sur le plan international nous a fourni des informations très pertinentes à intégrer dans nos réflexions », fait valoir Edith Cloutier.

Aujourd’hui, la clinique inspire au-delà des frontières. À preuve, une contribution scientifique qui décrit l’expérience Minowé, cosignée par Carole Lévesque, Edith Cloutier, les chercheuses de l’INRS et les collaboratrices et collaborateurs autochtones, se retrouve dans le livre de référence Routledge’s Handbook of Global Urban Health, une publication savante éditée au Royaume-Uni et parue en 2019.

Plus récemment, en mai 2021, le Secrétariat aux Affaires autochtones du Québec et le ministère de la Santé et des Services sociaux annonçaient un financement de 27 M$ pour étendre partout au Québec le modèle de la clinique Minowé. « On parle alors de réussite non seulement en matière d’innovation sociale, mais aussi de transformation institutionnelle », se réjouit la professeure Lévesque. « Par le fait même, c’est tout le Québec qui en ressort gagnant », renchérit Edith Cloutier.

Lorsqu’une rencontre qui se construit sur une démarche de coproduction des connaissances fait avancer la science, le savoir et les connaissances et qu’elle favorise le mieux-être des populations et va jusqu’à transformer la société de manière positive, il y a tout lieu d’y voir une franche réussite.

Les entrevues sur lesquelles sont basées les articles de la série « La portée de la recherche : un partenariat avec » ont été réalisées auprès des membres du corps professoral et leurs partenaires, en 2020, par Michel Trépanier (professeur honoraire à l’INRS) et Louis Melançon (diplômé à la maîtrise en mobilisation et transfert des connaissances pratiques de recherche de l’INRS et doctorant à l’Université McGill).