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Les femmes plus vulnérables par rapport à l’argent dans le couple

2 février 2022 | Julie Robert

Mise à jour : 17 mai 2024

Des travaux de recherche vulgarisés visent à permettre un choix éclairé entre le mariage et l’union libre.

Au Québec, les pères ont un revenu en moyenne deux fois plus élevé que celui des mères.

Alors que le Québec se targue d’être le champion mondial de l’union libre, il est la seule province canadienne à n’avoir aucun encadrement juridique à cet égard. Des inégalités par rapport à l’argent perdurent au sein du couple, et les femmes en sont les grandes perdantes. Pour la professeure et sociologue Hélène Belleau, nul doute que les réalités des familles et des couples québécois d’aujourd’hui doivent être au cœur de la réforme du droit de la famille.

Afin de rendre ses travaux sur la gestion de l’argent dans le couple, plus accessibles, elle a réalisé avec son équipe, une série d’infographies vulgarisées. La chercheuse rappelle ainsi l’importance de traiter de façon plus équitable les couples mariés et ceux en union libre.


Pourquoi l’argent est-il toujours aussi tabou au sein du couple ?

C’est ce qu’on appelle la « logique amoureuse » qui fait qu’un couple parle peu d’argent. Quand on est au début d’une relation, le couple et le partenaire passent avant les intérêts personnels. On n’anticipe pas la rupture. Cette logique est importante, voire nécessaire d’une certaine façon, mais elle va complètement à l’encontre de la logique marchande où on doit défendre ses intérêts personnels et être plus cartésien par rapport aux questions d’argent.

Aujourd’hui, les rapports amoureux sont basés sur une relation de confiance ancrée dans le quotidien. On ne parle plus de mariage ni de contrat exigeant le dévoilement des états financiers de chacun.  Les gens vont souvent mettre les discussions relatives à l’argent sous le tapis pour éviter les conflits et conserver une certaine harmonie dans la relation.


Comment se traduisent les inégalités financières dans le couple ?

Une de nos infographies illustre justement les écarts de revenus entre les hommes et les femmes en couple avec enfants mineurs, à travers le Québec. Ce sont plus de 80 % des enfants qui naissent hors mariage dans certaines régions du Québec et plus de 50 % des couples qui sont en union libre, chez les familles avec enfant.

Au Québec, les pères ont un revenu médian deux fois plus élevé que celui des mères. Dans certaines régions, comme l’Abitibi-Témiscamingue ou le Saguenay–Lac-Saint-Jean, cette proportion est presque doublée ! Et pourtant, dans ces mêmes régions, plus de 50 % des couples préfèrent l’union libre au mariage. Résultat ? Advenant une séparation, les conséquences financières pourraient bien être désastreuses pour bon nombre de ces femmes. Ce genre de données est assez surprenant, en 2022, dans une société qui se veut égalitaire comme le Québec.

Lors des dernières recherches réalisées avec ma collègue professeure Maude Pugliese, nous avons aussi observé des inégalités à long terme, avec la gestion des épargnes-retraites.

Inforgraphie sur les écarts salariaux du point de vue des femmes et les unions libres. Carte de la province du Québec et les chiffres de chaque région
Graphiste : Luc Van Ameringen. Cartographe : Mathieu Rancourt


Comment explique-t-on ces inégalités au sein du couple ? 

D’abord, les personnes en couple n’anticipent pas la rupture. Alors que les statistiques montrent qu’un mariage sur deux se termine en divorce. Si vous interrogez des couples, dans 90 % de cas, ils vous diront qu’ils ne pensent pas divorcer. Il y a un réel biais cognitif.

Ensuite, il y a une fonction sociale associée à l’union, c’est-à-dire qu’on s’investit dans une relation, car on pense qu’elle va durer. Du moment où la relation ne fonctionne plus, il y a un désinvestissement. Très concrètement, les gens n’anticipent pas la rupture. Un contrat de mariage est, d’une certaine façon, un contrat de séparation.

Finalement, il y a la dynamique conjugale qui entre en ligne de compte. Les femmes s’occupent de la gestion quotidienne des tâches ménagères, et les hommes investissent dans les placements. Quand on demande aux femmes pourquoi elles ne vont pas voir le conseiller financier avec leur conjoint, elles répondent souvent qu’elles ont l’impression que l’argent ne leur appartient pas.


Selon les chiffres, dans certaines régions du Québec, plus de 80 % des enfants québécois naissent d’une union libre. Que se passe-t-il quand les deux parents ne vivent plus ensemble ?

Les familles recomposées vivent des réalités variées qui, souvent, ne sont pas prises en compte dans les mesures sociales et fiscales. Ce sont surtout les mères qui écopent de la facture salée de la « taxe à la recomposition ». En effet, les aides financières perçues par une femme monoparentale sont moins importantes lorsqu’elle se remet en couple.

De plus, dans les familles recomposées ayant la garde d’un ou de plusieurs enfants issus d’unions précédentes, les dépenses relatives aux enfants (médicaments, service de garde, vêtements) sont généralement prises en charge exclusivement par le parent, même si le nouveau couple dit gérer ses revenus et ses dépenses en commun.  Enfin, on constate que le rôle et les responsabilités du beau-parent envers l’enfant sont souvent mal compris.


Quelles solutions peut-on envisager pour protéger les femmes de la précarité financière ?

Il est clair que la situation nécessite un encadrement juridique et qu’elle ne peut être laissée au bon vouloir des conjoints. On pourrait penser à une « option de retrait » pour que les conjoints qui ne souhaitent pas du cadre juridique — pour toutes sortes de raisons —puissent s’en retirer au moment de la séparation s’ils n’ont pas d’enfant commun. Cet encadrement protégerait particulièrement les femmes qui ont des enfants et ces derniers.

Par ailleurs, il ne faudrait pas qu’une réforme du droit fasse porter le fardeau de la preuve d’un appauvrissement lié à la vie conjugale aux femmes et que ce soit à elles de contester. Faire de telles démarches et payer les frais d’avocat alors que, souvent, elles n’en ont pas les moyens serait injuste.

L’État doit proposer un modèle qui protège les couples en union libre. D’autant que nous avons démontré que la moitié des couples en union libre pensent que cela revient à être mariés. C’est ce qu’on appelle le « mythe du mariage automatique ».

Beaucoup d’aspects devraient être revus, puisque la dernière réforme date des années 1980. Certains éléments du Patrimoine familial sont pertinents et à conserver, mais il faut les appliquer aux couples en union libre. Par exemple, le partage du patrimoine familial au Québec englobe les fonds de retraite, ce qui peut être bien dans certains cas.

De manière générale, il y a un manque d’éducation quant aux questions d’argent, alors que ce sont des notions complexes. De plus, le gouvernement envoie parfois des messages contradictoires. Prenons l’exemple de la déclaration d’impôt : on dit à tous les couples en union libre qu’ils sont considérés comme des conjoints de fait après un an, et que tous les conjoints de fait sont considérés comme des couples mariés devant la fiscalité. Or, lorsque survient une séparation, être marié et en union libre est très différent. Nous devons nous assurer que chacun possède les connaissances lui permettant de faire un choix éclairé quant au mariage et à l’union libre. C’est ce que nous cherchons à faire avec notre série d’infographies.


Quelques faits saillants en images

Les infographies ont été réalisées par Prisca Benoit, en collaboration avec Carmen Lavallée, sous la direction d’Hélène Belleau.

La professeure Hélène Belleau a collaboré au dossier Comment vieillir riche en couple du magazine L’actualité.