- Tour d'horizon
La série « Tour d’horizon en trois questions » met en valeur la recherche sous toutes ses formes et porte un regard éclairé sur l’actualité.
Maryse Bouchard, professeure chercheuse spécialisée en santé environnementale à l’INRS
Le « glyphosate » et les « néonicotinoïdes » sont des noms qui ont déjà fait les manchettes dans les médias. Ces pesticides ont été – voire sont toujours – utilisés, soit en agriculture pour protéger contre les ravageurs et les maladies, soit comme herbicides dans les parcs et les espaces publics.
Des résidus de pesticides se retrouvent aussi dans les fruits et les légumes, et même dans l’eau potable. Cette présence soulève des préoccupations croissantes en matière de santé publique.
Les risques associés à ces contaminants sont connus partout dans le monde. Pourtant, la professeure Maryse Bouchard de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) déplore encore aujourd’hui un manque criant de recherche et de financement dans ce domaine. Selon elle, il n’existe pas assez d’études pour évaluer les risques réels de ces produits sur la santé humaine au Québec et dans le reste du Canada.
La chercheuse spécialisée en santé environnementale nous éclaire sur cet enjeu de santé publique.
Les traces de pesticides sont partout : dans nos champs, nos assiettes, notre eau, nos parcs et nos espaces publics. Connaît-on les risques réels de ces expositions répétées et multiples pour la santé humaine?
Beaucoup de gens me demandent quels sont les risques des pesticides, mais il est difficile de répondre à cette question parce qu’au Canada plusieurs centaines de produits chimiques différents à usage pesticide sont répandus dans l’environnement.
Les personnes les plus exposées sont les travailleuses et travailleurs agricoles, qui encourent plusieurs risques, dont une diminution de la fertilité; la maladie de Parkinson; les problèmes respiratoires; le cancer du poumon, de la prostate et du colon; et des myélomes multiples. Même pour des personnes non exposées professionnellement, des études épidémiologiques suggèrent que plusieurs pesticides peuvent être des perturbateurs endocriniens, comme dans certains travaux rapportant des associations entre l’exposition à ces produits et des changements dans les concentrations d’hormones sexuelles. On a même trouvé que certains pesticides pouvaient interférer avec le microbiome intestinal, et ainsi induire des désordres métaboliques chez l’animal.
Pour ma part, je me suis surtout intéressée à documenter les risques des pesticides chez l’enfant. J’ai commencé à travailler sur le sujet lors de mon stage postdoctoral à la Harvard School of Public Health en 2009 (maintenant la Harvard T.H. Chan School of Public Health) où j’ai eu la chance d’avoir accès à des données précieuses d’une enquête nationale américaine menée par les National Institutes of Health (NIH). Les résultats de cette étude ont montré que la concentration urinaire de certains insecticides (ceux de la classe des organophosphorés) était associée à un risque accru de trouble de déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ou TDA). J’ai poursuivi mes recherches afin de mieux comprendre comment l’exposition prénatale aux à ces produits chimiques peut avoir un effet sur le développement de l’enfant. J’ai donc rejoint, en 2010, l’équipe de la professeure Brenda Eskenazi à l’Université de Berkeley, en Californie, pour travailler sur une cohorte de femmes enceintes dans le cadre de son étude. Cette expérience était particulièrement enrichissante, car le projet portait sur des femmes originaires d’Amérique latine qui travaillaient ou dont le conjoint travaillait dans le domaine de l’agriculture. Ces femmes cumulaient donc plusieurs facteurs de vulnérabilité : exposition élevée aux pesticides, niveau socioéconomique faible et statut précaire d’immigration. De plus, l’approche communautaire et participative employée par la professeure Eskenazi était particulièrement emballante pour la jeune chercheuse que j’étais. Au terme de ce deuxième postdoctorat, j’ai publié une étude montrant que l’exposition prénatale aux insecticides organophosphorés était associée à des déficits importants du quotient intellectuel chez les enfants à l’âge de 7 ans.
Donc oui, il y a de plus en plus de liens clairs entre l’exposition aux pesticides et certaines maladies mais il faut redoubler d’efforts et mener plus de recherches pour saisir l’impact réel sur la santé publique, particulièrement chez les populations à risque comme en région agricole.
Plusieurs controverses ont vu le jour concernant la gestion des pesticides par le gouvernement canadien. Il y a eu des critiques concernant le manque de transparence et la dépendance envers les données fournies par les fabricants de ces produits chimiques, comme Bayer-Monsanto, notamment en ce qui concerne les limites de résidus de glyphosate sur certains aliments. Est-ce que vous pensez que les scientifiques doivent davantage être impliqués dans la gestion des produits chimiques par le gouvernement?
Il est primordial de s’impliquer. J’ai été particulièrement interpellée quand j’ai appris en 2021 que l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) envisageait de rendre la réglementation plus permissive pour le glyphosate, plutôt que de renforcer cette réglementation. Pourtant les données scientifiques s’accumulent pour montrer les risques des pesticides pour la santé humaine et celle des écosystèmes. On voit bien l’influence énorme du lobby de l’industrie sur les décisions gouvernementales.
Cette controverse a fait couler beaucoup d’encre dans les médias, et le gouvernement canadien a décidé de mettre sur pied un comité scientifique pour renforcer l’indépendance et la transparence dans les évaluations des pesticides par l’ARLA. Depuis 2023, je suis impliquée dans ce comité avec ma collègue, la professeure Valérie Langlois, experte en toxicologie chimique et environnementale. Notre comité fournit des avis indépendants sur les évaluations scientifiques de ces contaminants et nous examinons les processus utilisés pour estimer leurs risques. Déjà, plusieurs répercussions positives sont en train de se mettre en place grâce aux recommandations de notre comité, mais beaucoup de choses restent à faire pour notamment resserrer la réglementation sur ces produits chimiques au Canada.
Plus proche de nous, au Québec, on a aussi eu notre lot de controverses. Un ancien ministre de l’Agriculture avait même affirmé : « Monsanto est plus puissante que le gouvernement du Québec. » On se souvient de Louis Robert, un agronome lanceur d’alerte qui avait perdu son emploi au MAPAQ (ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec) après avoir dénoncé l’influence des lobbys de l’industrie des pesticides. Le gouvernement avait alors organisé une grande consultation, à laquelle j’ai participé en présentant mon mémoire sur les effets sur la santé publique en commission parlementaire. Une des suites de cette commission parlementaire a été la création d’un fonds pour mener plus de recherche afin de diminuer l’utilisation des pesticides. D’ailleurs, en 2021, l’équipe dont je fais partie a reçu une subvention des Fonds de recherche du Québec de 2,5 millions de dollars sur 5 ans pour la création du Réseau québécois de recherche en agriculture durable (RQRAD). Dans le cadre des activités du RQRAD, je mène actuellement une étude pour évaluer la contamination de fruits et de légumes produits selon différentes méthodes agronomiques.
L’usage des pesticides concerne beaucoup l’agriculture intensive et pourtant vous êtes la première chercheuse à vous pencher sur l’exposition des personnes qui vivent dans des zones agricoles au Québec. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet de recherche et en quoi il est novateur?
Ce projet découle de mon intérêt de longue date pour les questions entourant les risques des pesticides pour la population. En ce moment, je pense qu’il est juste de dire qu’au Québec, nous disposons de davantage d’information sur l’exposition des poissons, insectes et amphibiens que sur celle des personnes!
Ceci contraste avec les préoccupations grandissantes de la population canadienne envers cette question. En plus, la Montérégie est l’endroit au Canada où il y a le plus de personnes potentiellement surexposées aux pesticides en raison de l’intensité des épandages et de la densité de population.
Notre étude EPURA (Exposition aux pesticides utilisés en région agricole), financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), nous permettra de documenter finement les façons par lesquelles les gens sont exposés aux à ces produits chimiques en milieu agricole. En tant que chercheuse en santé publique, je pense qu’il est important de mener des travaux auprès des sous-groupes vulnérables de la population. Les voisins et voisines des épandages de pesticides constituent sans l’ombre d’un doute des personnes vulnérables dans ce contexte.
Nous venons de terminer la première année de collecte de données auprès de presque 200 hommes, femmes et enfants. Au terme de l’étude, nous aurons collecté des données auprès de 600 personnes de plusieurs communautés agricoles en Montérégie. Pour chacune d’entre elles, nous estimerons la dose d’exposition via les concentrations urinaires et nous analyserons la relation de ces personnes avec les différentes sources d’exposition aux pesticides : ingestion de résidus de pesticides par l’alimentation et l’eau, résidus dans l’environnement intérieur et extérieur, et épandages dans les champs à proximité. Les analyses permettront de mesurer plus de 50 pesticides différents dans nos échantillons.
En nous appuyant sur ces données d’EPURA, nous pourrons déterminer l’importance respective des différentes sources d’exposition aux pesticides. Les données serviront aussi à identifier les groupes de la communauté les plus exposés et les facteurs qui déterminent le niveau d’exposition. Ces informations sont cruciales pour estimer les risques d’effets toxiques et pour prioriser les actions à entreprendre pour mitiger ces risques.