- Tour d'horizon
La série « Tour d’horizon en trois questions » met en valeur la recherche sous toutes ses formes et porte un regard éclairé sur l’actualité.
François Allard professeur chercheur spécialisé en électrochimie appliquée et modélisation numérique
Engagé pour la transition énergétique, le professeur François Allard consacre ses travaux à la décarbonation des procédés industriels et au développement de nouvelles technologies. L’objectif de ses recherches? Optimiser la durabilité environnementale des entreprises québécoises de la filière batterie et de l’aluminium.
Ce spécialiste en électrochimie appliquée et en modélisation numérique, conscient que la recherche doit faire écho aux besoins de l’industrie, veille à ce que ses travaux comportent des volets applicables directement sur le terrain. En plus de ses activités de chercheur et de professeur à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), François Allard agit comme coresponsable de l’Unité mixte de recherche INRS-UQTR sur les matériaux et les technologies pour la transition énergétique.
Alors que les conséquences des changements climatiques sont de plus en plus visibles partout dans le monde, il apparaît indispensable de repenser la manière dont sont produits nos matériaux. C’est dans ce contexte que le professeur Allard répond à nos questions.
Le Québec est très compétitif sur la scène internationale grâce à son savoir-faire en matière de matériaux et de technologies de batteries. La province se distingue aussi par la formation d’une main-d’œuvre spécialisée, par ses entreprises manufacturières dans le secteur des métaux et des mines ainsi que par son offre de conditions favorables aux entreprises, comme l’électricité verte et la proximité des ressources naturelles.
Au niveau de la recherche, le Québec a longtemps été un pionnier dans le développement de la batterie au lithium-ion, avec des travaux effectués dans les universités et dans les centres de recherche, comme ceux d’Hydro-Québec. Ces travaux portaient, entre autres, sur la cathode à base de lithium fer phosphate (LFP), utilisée comme électrode positive dans les cellules qui composent les batteries. Pour donner une idée de l’importance de ce matériau, la cathode représente environ 50 % du coût d’une batterie, selon les données de BloombergNEF. Ces cathodes peuvent se retrouver dans les véhicules électriques, mais aussi dans d’autres systèmes de stockage de l’énergie.
Aujourd’hui, la ville de Bécancour, située au Centre-du-Québec, accueille d’importants acteurs de l’industrie, allant de la transformation des minéraux issus de mines à la fabrication de matériaux actifs de cathodes ou d’anodes. Des entreprises étrangères, comme Ultium CAM (coentreprise entre General Motors et POSCO) ou encore EcoPro BM, s’y installent pour fabriquer des matériaux de cathodes pour les véhicules électriques. On y trouve aussi des entreprises québécoises, ou issues du Québec, comme Nouveau Monde Graphite et Nemaska Lithium, qui produiront respectivement des anodes, l’électrode négative de la batterie lithium-ion, et du lithium entrant dans la fabrication des batteries.
Les producteurs de cathodes auront besoin de nickel, de fer, de manganèse, de cobalt et possiblement d’aluminium décarboné pour offrir un produit vert. Le Québec possède tous ces minéraux, à l’exception du cobalt, que nous souhaiterions éliminer des batteries grâce à nos travaux de recherche en cours. L’INRS et l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) ont créé un partenariat appelé l’Unité mixte de recherche (UMR), où membres du corps professoral et membres étudiants-chercheurs développent les matériaux et les technologies nécessaires à la transition énergétique.
De plus, ces entreprises locales et internationales créent des centaines de nouveaux emplois, ce qui engendre un grand besoin de formation. Notre objectif est de bien former leurs équipes pour appuyer leur ambition d’excellence. Pour y répondre, je dirige une plateforme sur l’électrification des transports et sur le développement de composants qui implique l’INRS et l’UQTR ainsi que trois cégeps (Trois-Rivières, Shawinigan et Saint-Jérôme) et deux centres collégiaux de transfert de technologie (CNETE et IVI).
Effectivement, cette nouvelle filière demande qu’on s’adapte pour bien répondre à ses besoins en matière de recherche et développement et de formation. C’est pourquoi l’INRS a récemment mis en place de nouveaux laboratoires au sein de l’UMR INRS-UQTR sur la transition énergétique afin de développer des matériaux pour les batteries, de concevoir des technologies émergentes et de décarboner les procédés industriels.
Nos infrastructures permettent non seulement de faire avancer les projets de recherche de l’UMR en transition énergétique, mais aussi de former des spécialistes de la batterie dans une région en demande. Par exemple, nous mettons en place une nouvelle plateforme de synthèse et de caractérisation de matériaux pour les batteries à l’état solide, c’est-à-dire qui n’utilisent pas d’électrolyte inflammable. Nous disposons également d’espaces pour l’étude de procédés de production d’aluminium par électrolyse, ainsi que de recyclage des batteries lithium-ion usées et des cycleurs (instruments pour la charge et décharge de batteries). Nous utilisons ces équipements de recherche, entre autres, pour évaluer la performance des nouvelles technologies développées avec nos partenaires et collaborateurs du Québec et de l’international.
Nos nouveaux laboratoires permettent d’évaluer à petite échelle le comportement de nouveaux matériaux dans les batteries. Nous y testons notamment des matériaux qui favorisent l’augmentation de l’autonomie des véhicules électriques, tout en utilisant des ressources disponibles au Québec. En outre, nous étudions comment optimiser le procédé de recyclage des batteries au lithium afin de soutenir les nouvelles usines dans ce domaine.
La concurrence dans le secteur de la production primaire de l’aluminium est féroce, et le Canada se classe comme quatrième producteur mondial. Au Québec, près de trois millions de tonnes sont produites chaque année. Notre aluminium est le plus vert au monde, puisqu’il est produit à partir d’hydroélectricité.
Néanmoins, le procédé actuel doit être continuellement optimisé afin de garantir notre compétitivité, tant sur le plan environnemental qu’économique. Pour y arriver, j’ai mis en place divers projets à l’INRS pour développer des matériaux résistants à la corrosion qui permettront, au bout du compte, d’instrumenter les unités de production d’aluminium primaire (cellule d’électrolyse) et de mieux les optimiser (efficacité énergétique). De plus, certains de ces matériaux donneront la possibilité d’augmenter la durée de vie des unités de production.
Il faut savoir que la production d’aluminium se déroule dans un milieu très corrosif et que les cellules d’électrolyse fonctionnent à près de 1 000 °C. Les défis liés à la recherche sont donc importants, mais nous avons formé une équipe chevronnée pour développer ces nouveaux matériaux. Je collabore avec les professeurs Lionel Roué et Daniel Guay du Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l’INRS ainsi qu’avec l’Université de Sherbrooke, qui produit des modèles informatiques pour bien intégrer ces matériaux dans les unités de production du partenaire.
À terme, ces projets de recherche aideront les usines de production d’aluminium du Canada et du monde à améliorer leur performance économique et environnementale, tout en réduisant les déchets produits et les émissions de gaz à effet de serre.
Dans le domaine du transport, l’aluminium joue un rôle majeur pour l’allégement des véhicules électriques et hybrides, ce qui permet d’augmenter leur autonomie ou de réduire le nombre de batteries nécessaires. De plus, l’aluminium entre dans la fabrication des cathodes NCA (oxydes de lithium, nickel, cobalt, aluminium), qui sont notamment utilisées par certains fabricants automobiles. Nos recherches sont donc indispensables pour décarboner notre économie et le secteur du transport à l’avenir.