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Deux spécialistes en écotoxicologie de l’INRS participent à la conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP 15).
La destruction d’habitats, les changements climatiques, la pollution, l’exploitation des ressources naturelles et les espèces envahissantes sont les principales causes de la perte de la biodiversité. JAIMIE HARMSEN, UNSPLASH
Agir pour la sauvegarde la biodiversité, c’est prendre soin du vivant et de son habitat. Deux spécialistes en écotoxicologie de l’INRS agissent sur plusieurs fronts. En laboratoire et sur le terrain, Patrice Couture et Valérie Langlois font progresser la science en matière de protection de la biodiversité. Ils participent à la COP 15 pour informer et sensibiliser le public et les politiques.
Le professeur Patrice Couture étudie les effets des polluants environnementaux sur des espèces aquatiques. Ses recherches se concentrent plus particulièrement sur les effets des métaux, provenant de l’exploitation minière, sur les poissons d’eau douce.
La croûte terrestre est remplie de métaux divers et on en retrouve naturellement dans nos légumes. Même si leur présence dans l’environnement est normale, certains s’accumulent et deviennent très toxiques. Ces derniers sont sous la loupe du chercheur.
« Ce n’est pas la présence des métaux qui est problématique, mais leur concentration. Les mines remettent en circulation les métaux enfouis dans le sol, ce qui crée des environnements potentiellement toxiques pour la flore et la faune aux alentours. »
Patrice Couture, professeur et chercheur en écotoxicologie
Une partie des activités de recherche du chercheur et de son équipe ont lieu dans les régions de Sudbury en Ontario et de Rouyn-Noranda au Québec, deux zones ayant d’importantes activités minières et métallurgiques. Ces zones constituent des laboratoires naturels uniques pour la recherche sur le cuivre, le cadmium, le zinc et le nickel, des métaux potentiellement dangereux pour l’environnement.
Même si l’industrie minière prend davantage de précautions qu’il y a 20 ans, le ruissellement des eaux pluviales ou un mauvais entretien d’un site minier qui n’est plus exploité peuvent causer des dégâts environnementaux importants.
Pour le Québec, le développement minier durable est un enjeu de taille. Le chercheur rappelle que la province a un gros potentiel de ressources minérales qui seront requises dans les prochaines décennies. En particulier si les gouvernements souhaitent prendre un virage écologique avec les voitures électriques, les ampoules DEL ou les batteries au lithium.
« Il va falloir développer une exploitation durable et intelligente des sites miniers si on veut préserver la biodiversité, la santé des populations et le mode de vie traditionnel des Premiers Peuples », soutient le professeur Couture, qui collabore avec des partenaires des communautés autochtones.
Dans un contexte de changements climatiques où les épisodes de canicule sont de plus en plus fréquents dans le nord de la province, le chercheur s’intéresse aussi à la combinaison de la contamination aux métaux et des températures élevées. Il collabore d’ailleurs avec d’autres professeurs de l’INRS, dont André Saint-Hilaire et Normand Bergeron, pour le projet MiraNor. Ensemble, ils évaluent les effets des activités minières sur poisson et son habitat, près de Schefferville et Fermont.
Selon les travaux du professeur Couture, la chaleur, en plus de la pollution par les métaux, rajoute un stress supplémentaire aux organismes à sang froid comme les poissons. En laboratoire, les scientifiques ont pu observer une mortalité notable et un retard de croissance.
« La combinaison de ces sources de stress peut aller jusqu’à provoquer l’extinction locale de plusieurs espèces. Or, les communautés autochtones dépendent beaucoup de certains poissons comme l’omble chevalier. Des impacts majeurs sur ces animaux aquatiques et leurs habitats peuvent avoir des conséquences néfastes ces communautés », précise le chercheur.
La destruction d’habitats, les changements climatiques, la pollution, l’exploitation des ressources naturelles et les espèces envahissantes sont les principales causes de la perte de la biodiversité.
À l’occasion de cette COP 15, iTrackDNA figure parmi les travaux de recherche mis de l’avant. Ce projet illustre la collaboration entre les communautés autochtones et les scientifiques. Ici, les objectifs sont communs : faire l’inventaire de la faune canadienne et la protéger.
Tous les organismes vivants laissent une trace de leur matériel génétique (ou ADN) dans leur environnement (eau, sol), via leurs excréments, leurs écailles, l’urine, la salive, la peau, les poils, les plumes, etc. On parle alors d’ADN environnemental (ou ADNe).
C’est ce précieux matériel génétique qui est au cœur du projet pancanadien iTrackDNA que codirige la professeure Valérie Langlois, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicogénomique et perturbation endocrinienne avec des collaboratrices et collaborateurs de l’Université Laval, l’Université du Québec en Outaouais et University of Victoria.
Ce projet d’envergure vise à préserver et restaurer la biodiversité grâce à l’ADNe.
« Un seul échantillon d’eau dans un lac ou un marais peut indiquer la présence d’espèces à risque, envahissantes, ou importantes culturellement et économiquement notamment pour les Premiers Peuples. C’est un outil extrêmement puissant ».
Valérie Langlois, professeure et chercheuse en écotoxicogénomique
L’objectif de l’équipe est de mettre au point des outils à la fine pointe de la technologie moléculaire qui permettront de détecter l’ADNe d’environ 150 espèces animales canadiennes. Jusqu’à présent, ils ont conçu plusieurs dizaines de tests, notamment pour l’esturgeon jaune.
Les forces de l’ADNe permettent à l’équipe de faire un suivi des populations en déclin ou en danger, mais aussi à détecter des espèces invasives. La présence ou l’absence de certaines espèces donne parfois une idée de la santé du milieu naturel à l’étude.
Un joueur clé vient de se joindre au projet : le Zoo Saint-Félicien. L’équipe de recherche va pouvoir bénéficier de l’accès à des espèces, comme le carcajou ou l’ours polaire, qui sont difficiles à approcher dans leur habitat naturel. L’idée est de réaliser des prélèvements sur l’animal et son habitat.
« Le prélèvement d’ADN environnemental va permettre de répondre à la question des membres de la Première Nation Abitibiwinni, située près d’Amos, à savoir si le couguar réside toujours sur leur territoire. Le couguar étant une espèce susceptible d’être désignée comme menacée », explique la professeure Langlois.
La chercheuse précise que les prélèvements d’ADNe ne se font pas de manière uniformisée par les scientifiques à travers le monde. L’équipe collabore actuellement à l’élaboration d’une première norme internationale pour avoir des méthodes d’analyse standardisées. Un test plus robuste et efficace est également à l’étude. Pour l’instant, les gouvernements, les Premières Nations, les ONG et l’industrie sont les utilisateurs ciblés.
Ce projet d’envergure est financé par Génome Canada, Génome Québec et Génome Colombie-Britannique.
L’implication sur les enjeux environnementaux de Patrice Couture et de Valérie Langlois ne s’arrête pas là. Ils sont chacun à la tête de deux regroupements de recherche importants qui rayonnent ici à l’international : le Centre de recherche en écotoxicologie du Québec (EcotoQ) et le Centre intersectoriel d’analyse des perturbateurs endocriniens (CIAPE).
EcotoQ regroupe une cinquantaine de scientifiques québécois qui documentent la présence des divers contaminants dans l’environnement et étudient leurs effets sur la faune et la flore. Les déversements de pétrole, l’utilisation de pesticides, d’herbicides et d’autres contaminants d’origine agricole, les microplastiques ou encore la présence de métaux sont autant de problématiques auxquelles ils se penchent.
Membre d’EcotoQ, Valérie Langlois s’intéresse aussi à l’écotoxicologie des microplastiques dans le Saint-Laurent en prélevant directement des échantillons dans le fleuve. À travers le CIAPE, aux côtés de ses collègues, elle collige des données et informe les instances gouvernementales et le public des effets que peuvent avoir les perturbateurs endocriniens sur l’environnement et sur la santé humaine. L’utilisation des pesticides — dont certains sont considérés comme étant des perturbateurs endocriniens — est sous la loupe de la chercheuse. Elle analyse leurs impacts sur la faune et les organismes afin d’appuyer une agriculture écologique et durable.