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2 mai 2019 | Gisèle Bolduc
Mise à jour : 12 février 2021
Après une journée de travail dans leurs laboratoires, une trentaine d’étudiantes et d’étudiants de maîtrise et de doctorat et quelques professeurs du Centre Eau Terre Environnement de l’INRS se sont réunis à la brasserie artisanale La Korrigane, à Québec, pour échanger sur leurs perspectives d’avenir autour d’une pinte. Au menu, une question fondamentale : quelle est la place des femmes dans le milieu de la recherche universitaire ?
Pour y répondre, la professeure en écotoxicogénomique Valérie Langlois avait réuni quatre collègues féminines, les professeures Monique Bernier, Sophie Duchesne, Isabelle Laurion et Isabelle Lavoie. La convivialité et les rires se sont rapidement installés autour de la table, au grand plaisir des personnes présentes.
« Clairement, il y a un besoin de la part de la communauté étudiante de parler de sexisme en science et d’essayer de trouver des solutions », estime la doctorante Sophie Dufour-Beauséjour. « D’avoir les cinq professeures réunies, ajoute-t-elle, d’avoir aussi trois professeurs masculins qui sont venus, ça donne de l’espoir. Il y a des gens dans la communauté de l’INRS qui sont soucieux de ce problème-là. » Pour l’étudiante au doctorat Roxanne Bérubé, la soirée a aussi permis « de lever le voile encore davantage sur le métier de chercheuse ».
Si la plupart des professeures présentes affirment ne pas avoir été personnellement victimes de sexisme dans leur milieu de travail, elles soulignent néanmoins que plusieurs facteurs continuent de freiner les femmes dans la poursuite d’une carrière académique. « Ça commence quand les enfants sont petits », souligne la professeure et ingénieure Sophie Duchesne, qui œuvre en recherche en génie civil, un secteur traditionnellement masculin. Pour celle qui se rappelle le plaisir qu’elle éprouvait lors des jeux de construction dans le carré de sable lorsqu’elle était toute petite, « il n’y a pas de raison, rien dans notre ADN, qui fait qu’on aime plus les poupées ou les camions ».
Après la maîtrise ou le doctorat, c’est souvent la conciliation travail-famille qui vient ralentir les jeunes femmes dans leur progression scientifique. Certes, la carrière de professeure signifie parfois avoir « moins de temps pour les enfants », concèdent les professeures Lavoie et Laurion. « Être prof, c’est comme diriger une PME. […] Il n’y a personne qui prend la relève quand on ne travaille pas », renchérit Valérie Langlois, qui confie avoir répondu aux questions d’une étudiante quelques heures après son accouchement par passion pour son métier. Néanmoins, comme le rappelle la doyenne du groupe, la professeure Monique Bernier, c’est possible de réussir sa carrière tout en amenant à l’âge adulte « deux beaux enfants », même s’il faut parfois savoir prioriser son équilibre, au détriment de certaines formes de reconnaissances externes.
La situation tend à s’améliorer, tient à préciser la professeure Bernier, notamment du côté des organismes subventionnaires. On peut penser par exemple au Programme de chaires pour les femmes en sciences et en génie du CRSNG. Une étude canadienne récente a par ailleurs montré que la manière d’évaluer les dossiers a une incidence sur le taux de succès des femmes. L’écart avec les hommes disparaît pratiquement lorsque c’est la qualité des projets soumis qui est considérée d’abord, plutôt que le dossier des candidats. La professeure Isabelle Laurion appuie l’idée de modifier les critères d’évaluation des demandes de financement et d’embauche des professeurs, qui reposent en grande partie sur le nombre de publications scientifiques.
Selon Statistique Canada, en 2016-2017, les femmes représentaient 40,2 % des membres du personnel universitaire enseignant à plein temps, comparativement à 37,6 % en 2010-2011. Dans l’intervalle, elles sont devenues plus nombreuses au rang de professeur titulaire (+ 31,4 %) et de professeur agrégé (+ 21,7 %).
Selon la Chaire pour les femmes en sciences et génie au Québec de l’Université de Sherbrooke, les femmes comptent pour 43 % des étudiants au baccalauréat dans les programmes de sciences pures et appliquées dans la province, contre 41 % à la maîtrise et plus que 37 % au doctorat, des données qui sont à peu près stables depuis dix ans. Pour plusieurs participantes à cette soirée d’échange, une partie de l’explication quant à la relative lenteur des changements vient peut-être du fait que les hommes demeurent encore majoritaires dans la direction des comités d’évaluation, des regroupements de recherche, de même que dans les postes de direction dans les universités et les grands organismes subventionnaires.
Pour la doctorante Sophie Dufour-Beauséjour, il est nécessaire que le milieu académique prenne conscience des parti pris qui persistent et qu’il s’engage à y remédier. Roxanne Bérubé, qui s’intéresse à la carrière professorale, a pour sa part tiré certains enseignements de la soirée. « Il faut faire sa place en tant que femme. Il ne faut pas avoir peur de poser sa candidature. Même si les critères [d’embauche] en recherche sont un peu plus masculins, il faut avoir confiance en nous. Il faut aussi s’encourager entre femmes. »