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Deux membres étudiants de l’INRS ont passé deux mois dans l’Ouest américain à explorer et échantillonner des sites volcaniques.
Le double cratère au sommet de Cinder Cone, dans le Parc National Volcanique de Lassen, en Californie. Il s’agit d’un volcan monogénique de type « cône de scories », qui a fait éruption une seule fois. Le double cratère pourrait être dû à des variations d’intensité éruptive. Photo: Grégoire Pasdeloup.
Difficile d’oublier les images montrant un épais nuage de cendres à la suite de l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll en 2010. Ce phénomène naturel a eu des conséquences au-delà des frontières de l’Islande et a provoqué cinq jours d’interruption complète du trafic aérien d’une grande partie de l’Europe. En moyenne, une vingtaine de volcans sont simultanément en activité dans le monde.
De nombreux scientifiques étudient les dépôts volcaniques, résultat des éruptions, incluant les cendres volcaniques, c’est-à-dire les particules de moins de deux millimètres. Pour les éruptions sans témoins oculaires, étudier et interpréter ces dépôts reste le moyen principal de savoir de quoi un volcan est capable, et donc les risques qui sont associés à d’éventuelles éruptions futures, tant pour la population que pour les infrastructures.
Quelles histoires peuvent raconter les cendres qui retombent des panaches volcaniques ?
Sophie Leiter et Grégoire Pasdeloup, membres étudiants au doctorat en sciences de la Terre dans l’équipe du professeur Pierre-Simon Ross, se penchent sur la question. Ensemble, ils ont passé plusieurs mois à parcourir la Californie, l’Oregon et l’Arizona dans le but d’étudier les cendres de différents types de volcans. Une expérience unique et enrichissante de recherche sur le terrain pour les deux jeunes scientifiques qui ont eu la piqûre de la volcanologie.
La recherche de l’équipe a pour fondement la fragmentation du magma. Ce processus important est à la base de l’explosivité de certaines éruptions. Les différents mécanismes de fragmentation du magma sont un des facteurs qui donnent lieu à différents styles éruptifs. Les deux membres étudiants ont pris les volcans monogéniques comme champ d’études, c’est-à-dire des volcans qui se forment en une seule éruption. Le Paricutín, apparu en 1943 dans un champ de maïs au Mexique, est l’un des exemples les plus célèbres.
« Notre travail consiste à relier le style éruptif du volcan avec ce qu’on peut observer sur le terrain en analysant les dépôts volcaniques. À plus long terme, on aimerait déterminer la nature de l’explosivité et voir comment les dépôts peuvent nous renseigner sur le style éruptif du volcan étudié. »
Grégoire Pasdeloup, étudiant au doctorat en sciences de la Terre
Grégoire s’intéresse aux cônes de scories, soit des édifices volcaniques de forme conique formés par l’empilement de fragments près de l’évent (endroit du volcan d’où sort le magma). Dans un cône de scories, le magma se fragmente de lui-même. Sophie, quant à elle, se penche sur l’interaction explosive entre le magma et l’eau souterraine qui forme des éruptions phréatomagmatiques. De loin, il s’agit de l’une des plus dangereuses manifestations pour ce type de volcans.
« Quand le magma et la nappe d’eau souterraine entrent en contact, ça donne des éruptions très explosives qui produisent beaucoup de cendres. Il peut même y avoir des courants latéraux pouvant aller à des dizaines ou centaines de km/h qui peuvent tout dévaster sur leur passage », explique la détentrice d’une maîtrise en géosciences à l’Université de la Colombie-Britannique.
Un cône de scories peut atteindre près de 300 mètres de haut. Il est typiquement entouré d’un vaste « manteau » de retombées pyroclastiques (incluant les cendres) qui se drape sur le paysage, sur plusieurs kilomètres latéralement. À la base du cône, ces dépôts peuvent faire jusqu’à 5 à 10 mètres d’épaisseur, et il n’est pas possible d’atteindre la base avec un puits creusé manuellement à l’aide d’une pelle. Sur le terrain, les scientifiques doivent donc s’éloigner de quelques kilomètres du volcan pour pouvoir prélever des échantillons à partir de toute la stratigraphie des dépôts. Pendant ce séjour, des dizaines de puits ont été creusés dans les retombées pyroclastiques de trois volcans (Blue Lake maar, Cinder Cone et Sunset Crater) et des centaines d’échantillons ont été récoltés.
« L’échantillonnage de différentes couches de cendres nous permet de faire une fine analyse des particules en fonction de leur taille, de leur texture et de leur origine. Par la suite, on peut retracer les événements qui ont mené à la formation de ces dépôts », explique Sophie.
Actuellement, dans le domaine de l’analyse des cendres volcaniques, il n’existe pas une seule et même méthodologie appliquée par les scientifiques. Ce qui rend impossible la comparaison directe des dépôts de cendres de différents volcans ou de différents styles éruptifs.
« Le manque d’uniformité dans la méthodologie d’acquisition des données pour les cendres volcaniques est tel que pour l’instant, il est impossible de combiner deux études sur un même diagramme. Les scientifiques mesurent des paramètres différents, de façon différente. »
Pierre-Simon Ross, professeur
Dans le cadre de travaux antérieurs, l’équipe du professeur Ross au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS a développé une méthodologie standardisée, qu’utilisent maintenant Grégoire et Sophie pour leurs projets en cours. Cette méthode uniforme a été publiée dans la revue Bulletin of Volcanology plus tôt cette année afin de permettre aux scientifiques de différents groupes de l’utiliser également. Si la méthode est adoptée, les cendres de tous les volcans du monde pourraient être étudiées de la même façon, puisque l’acquisition des données serait enfin comparable.
Pour Sophie Leiter, la passion des volcans a débuté par une rencontre.
« Durant mon baccalauréat, j’ai rencontré une jeune professeure allumée qui m’a transmis sa passion pour les sciences. Je ne connaissais rien à la volcanologie, mais elle m’a encouragée et j’ai eu la piqûre assez rapidement. Ça fait plusieurs années et ça ne m’a pas quitté », confie-t-elle.
Durant l’expérience formatrice sur le terrain cet été, la doctorante a eu l’occasion de rencontrer des scientifiques de renom en volcanologie et de visiter des lieux emblématiques tels que l’Observatoire volcanologique des Cascades.
« Une grande partie de la géologie se déroule sur une échelle de temps de plusieurs millions d’années, tandis que les volcans s’inscrivent sur une échelle de temps plus humaine en matière d’événements catastrophiques. Ça les rend à la fois plus faciles, mais aussi plus difficiles à comprendre pour les gens »
Sophie Leiter, étudiante au doctorat en sciences de la Terre
Pour Grégoire Pasdeloup, le travail de terrain est essentiel.
« Le travail de terrain, c’est ce que j’apprécie le plus en géologie. C’est beaucoup plus formateur quand on est en face des affleurements des roches et des dépôts. On apprend beaucoup mieux avec notre professeur qui est avec nous et répond à nos questionnements », lance Grégoire.
« Cette expérience de plusieurs mois sur le terrain a été pour moi l’occasion de leur montrer plusieurs types de volcans, incluant des volcans très jeunes et bien conservés. On ne fait pas que creuser des trous ! », conclut en souriant le professeur Ross.
Pour le trio de volcanologues, la prochaine étape se fera plus loin des volcans. Il s’agit maintenant d’analyser les cendres volcaniques au laboratoire selon le protocole standardisé. Toutefois, les étudiants se souviendront toute leur vie de cette expérience de terrain qui leur a permis non seulement de visiter une multitude de sites volcaniques, mais aussi de développer un réseau de recherche autour d’un projet porteur pour ce domaine qui a du « panache » !
Ross P-S, Dürig T, Comida PP, Lefebvre N, White JDL, Andronico D, Thivet S, Eychenne J, Gurioli L (2022) Standardized analysis of juvenile pyroclasts in comparative studies of primary magma fragmentation; 1. Overview and workflow. Bull. Volc. 84:Article 13
Comida PP, Ross P-S, Dürig T, White JDL, Lefebvre N (2022) Standardized analysis of juvenile pyroclasts in comparative studies of primary magma fragmentation: 2. Choice of size fraction and method optimization for particle cross-sections. Bull. Volc. 84:article 14